Cyrille Weiner, passeur de rivages

Brigitte Ollier, Libération
Novembre 2009

La Villa Noailles, autrefois décor idéal du cinéma de Man Ray, apprécie les jeunes photographes et leur propose des commandes, ce qui est plutôt rare. Voici Cyrille Weiner, 33 ans, qui expose dans les sous-sols de la Villa une trentaine de tirages en couleurs, réalisés en 2008 et 2009, à la charnière des saisons. Après Joël Tettamanti, Olivier Amsellem, Erwan Frotin et Charles Fréger, Cyrille Weiner se jette donc à l’eau, se penchant sur un territoire préservé, de part et d’autre de la presqu’île de Giens, du Pradet à Bormes-les-Mimosas.

Repérages

Cyrille Weiner est dans le temps présent. Ce qui l’intéresse, c’est la présence humaine, mais il n’a pas envie de traiter «la balnéairite», ni l’été ni même l’hiver. D’où ses séjours assez longs, où il est en repérage la semaine, et parfois peu productif, pour se concentrer sur les week-ends, plus denses. Que cherche-t-il ? «Mon projet est une déambulation poétique, une réinterprétation de l’imaginaire du rivage. J’essaie de confronter mon imaginaire personnel avec sa réalité, et, de fait, j’ai aujourd’hui le sentiment d’être allé chercher des images antérieures, des images qui me hantaient
Sur le littoral hyérois, Weiner déambule avec son appareil-photo, soit à la chambre, soit muni d’un moyen format qui lui permet de faire des images à main levée. Il ne se cache pas de ceux qu’il s’apprête à ravir, et rassure ceux qui doutent. Nul besoin de mettre en scène, il vise ce qui lui plaît jusqu’à ce que l’image lui convienne. Avec trois exigences : couleur, tirage, géométrie. Et une lucidité qui fait plaisir à entendre de la part d’un diplômé de l’école Louis-Lumière : «Je suis dans une vision réaliste, tout en étant dans une photographie sans effet.»
S’il aime s’imprégner du lieu en marchant longtemps, Weiner n’est pas un zébulon. Quand il a choisi son cadre, il devient quasi statique. Tout peut bouger alentour, ça ne le dérange pas. «Je fais mes rouleaux», dit-il avec aplomb, tout en précisant que la géographie lui a paru, au début, difficile à appréhender : «On ne sait pas toujours où l’on se trouve par rapport à la mer et à la terre, c’est indécis. Le paysage n’est pas monolithique, il est d’une grande diversité, il change comme dans Stalker, et la mer n’est jamais loin.»


Cabanons

Ses photographies sont légères et n’ont pas le snobisme des paysages léchés jusqu’à l’excès. Elles n’ont pas valeur de document au sens strict du terme, mais elles renseignent sur la façon dont les touristes ou les habitants vivent sur ces espaces fragiles, entourés de cabanons à l’architecture renversante d’inventivité. Beaucoup de scènes familiales : le pique-nique, l’après-baignade au soleil, la sieste sur la chaise longue, la pêche aux coquillages, la promenade sur les rochers avec les chiens, il y a tous ces petits moments populaires dans Presque île, et une vraie tendresse pour ces figurants inconnus sous le ciel bleu. Cyrille Weiner ne cherche pas à ridiculiser qui que ce soit, il est heureux d’être là, «dans ces lieux où existe une sensation de liberté».

Photographe des coins et des recoins, Cyrille Weiner travaille souvent avec des architectes. Les pieds sur le béton. Là, avec Presque Ile, il a appris à «être au bord», dans un paysage en transition, qui change de couleur au gré de ses spectateurs et s’efface la nuit tombée, comme des pas dans le sable.

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