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Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre

Par Yannick LeMarec
Du 16 mars 2019

Article à retrouver ici

 

Au moment où j’écris cet article, les fourgons de la gendarmerie ont investi une fois de plus le bocage humide de Notre-Dame-des-Landes pour protéger la destruction de lieux de vie, des cabanes construites et reconstruites au fil de l’occupation, des luttes, et qui symbolisent pour certains une résistance insoutenable à l’autorité tandis que pour d’autres, elles signifient l’émergence d’espaces de liberté et les tentatives pour vivre collectivement une utopie créatrice.

Le livre Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre, publié aux éditions Loco, est le résultat d’un travail collectif qui consiste en l’étude précise des habitats apparus sur la ZAD. On n’y trouvera donc pas une rétrospective des combats, des histoires d’aéroports ou de tritons, il est seulement question ici d’habitat, d’expériences, et comme le dit un.e des occupant.e.s, « de rapports non-marchands avec les autres vies ». En mars 2016, les étudiants de Christophe Laurens, architecte, paysagiste et enseignant, ont mesuré et dessiné très précisément des cabanes, avec leurs annexes, prolongements, dépendances, espaces de vie, de travail, d’accueil, de stockage, dont certaines ont été détruites en avril 2018, comme le Phare ou la Noue non plus, et d’autres, comme la Cabane sur l’eau, incendiée par les gendarmes l’an dernier, reconstruite encore au milieu de l’étang, ont une nouvelle fois été démolies mercredi 13 mars 2019.

Cette cabane flottante, sans occupant fixe, était emblématique de l’esprit de la ZAD, chacun pouvant « venir pour profiter d’un lieu véritablement reclus » au bout d’un court voyage dans la barque laissée sur la rive avec ses deux rames. Sans être au cœur d’un projet de travail, cette cabane de repos et de méditation, apparaissait donc comme un défi aux tenants de l’ordre, un espace d’aventure personnelle au milieu des arbres, pour entendre les derniers chants d’oiseaux.

Le travail des étudiants constitue donc, au-delà de leur expérience sur le site, au contact parfois difficile avec les occupants méfiants, la mémoire d’une architecture sans architecte comme le définit Julien Zerbone dans un numéro de la revue 303 en 2016 consacré aux Cabanes : « Par sa fragilité, par son caractère éphémère, bricolé, la cabane s’oppose à la maison. On ne construit plus, dans la plupart des cas, sa maison soi-même, tout comme on ne fait pas appel à des matériaux de récupération. Vivre en cabane, c’est se réapproprier les processus de construction et d’élaboration, les savoir-faire nécessaires à la fabrication ; c’est aussi s’attacher au résultat du labeur au lieu de consommer du logement… ». C’est ce que montrent les photographies de Cyrille Weiner dont on a déjà évoqué le travail remarquable sur le terrain d’une autre utopie dans La fabrique du pré.

Chaque photographie permet de situer la cabane dans son environnement immédiat ; elles nous apparaissent tranquilles, apaisées, dans leur vie solitaire, même si l’absence des zadistes est d’abord un refus de paraître. Toute cabane est le reflet d’une histoire. Une histoire de construction, de rebus, de déchets du monde que les cabaniers rejettent et qu’ils s’efforcent de reconstruire sur les ruines, à partir des ruines, depuis les hauts-lieux de la récupération que sont les déchetteries. Mais la construction des maisons, parce que c’est une affaire collective, fait aussi appel aux dons. Ces jours-ci encore, alors que résonnent toujours le bruit des pelleteuses, les habitants de la ZAD sonnent la mobilisation, pour la reconstruction, les plantations, les discussions, avec une date, le 6 avril prochain et une invitation à venir déposer du bois de construction, des châssis de fenêtre, des portes, des clous et tous les matériaux qui serviront à reconstruire, une fois encore.

Comme ici, à la Riotière, la photographie documente la nature des matériaux utilisés : planches non équarries, déchets de scierie, bouts de tuyaux pour les adductions, morceaux de tubes pour les fumées d’un poêle à bois, palettes, tôle ondulée, pneu usagé. Les constructeurs de la Riotière ont utilisé trois portes vitrées à petits carreaux sur la façade, une verticale pour l’entrée et les deux autres, horizontales, pour la lumière. Le potager de fin d’automne produit moins, les bâches sont enroulées dans un coin ou bien ont été abandonnées là jusqu’au printemps prochain. La cabane de la ZAD n’est pas une résidence secondaire, c’est un lieu de vie et de travail et de lutte. La cabane est toujours l’espace du provisoire, de l’inaccompli, du transitoire. Le territoire de la cabane dit ce mode intermédiaire, celui de la vie comme des discussions sans cesse à reprendre, le monde inouï de l’imagination.

« Faire des cabanes : imaginer des façons de vivre dans un monde abîmé. Trouver où atterrir, sur quel sol rééprouvé, sur quelle terre repensée, prise en pitié et en piété. Mais aussi sur quels espaces en lutte, discrets ou voyants, sur quels territoires défendus dans la mesure même où ils sont réhabités, imaginés, ménagés plutôt qu’aménagés ». Ainsi débute le chapitre que Marielle Macé consacre à Nos cabanes (Verdier, 2019) : un livre pour dire la nécessité de construire des cabanes aujourd’hui, pas seulement des cabanes de bois mais des cabanes d’idées même si, le plus souvent, les cabanes qui abritent des idées, des projets novateurs pour nos vies, sont bâties en bois.

Sur la ZAD, les débats sont importants, les discussions souvent vives et les désaccords existent, signes de la difficulté mais aussi des efforts pour trouver une voie. Entre ceux, pour simplifier, trop, évidemment, qui veulent s’installer là pour vivre et ceux qui veulent vivre là pour refaire le monde, l’architecture reflète-t-elle les désaccords ? Le livre n’en dit rien. Les photographies permettent seulement d’observer les traces d’une installation, d’un étalage dans l’espace qui évoque le temps qui passe, les intermittences des combats qui retardent la création, qui pousse encore le désir de créer un lieu accueillant, confortable. Les pièces, comme ici, aux 100 Noms laissent voir une décoration, des images, des affiches, des journaux punaisés au mur, toutes traces de la lutte en cours, mais aussi des photographies plus personnelles, des fleurs séchées qui pendent à côté d’une guirlande de piments d’Espelette, des objets qui n’ont de sens que pour ceux qui habitent là. Comme l’écrit Marielle Macé, « toutes nos cabanes donc, aimables ou pas du tout ». Pas forcément leur beauté, mais leur capacité à inviter, à persuader, à proposer d’autres pratiques d’habiter la terre. « D’autant qu’il est désormais manifeste qu’il ne s’agit plus seulement de refuser un projet d’aéroport, mais de façonner ensemble l’avenir d’un territoire pour lequel on a tant donné qu’on ne peut plus imaginer la défaite » (Contrées. Histoire croisées de la ZAD de NDDL et de la lutte No Tav dans le Val de Susa, Collectif Mauvaise Troupe, Édition de l’Éclat, 2016). Les photographies de Cyrille Weiner ont cette grâce de nous montrer les détails d’un acharnement à vivre l’utopie collective de la ZAD, les traces des reconstructions successives pour refuser la défaite. À côté des images réalisées par les photographes qui suivent les multiples rebondissements des luttes sur le terrain, comme celles de ValK, les photographies de Cyrille Weiner témoignent pour l’histoire, pour l’histoire de l’architecture alternative, l’histoire sociale, de la capacité à réaliser une « escapade hors du monde capitaliste », selon l’expression de Julien Zerbone.

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