Brasilia, en dehors du plan
L’arrivée à Brasilia est étrange : un travelling sur une ville qui n’existerait pas, qui ne se dévoilerait que très lentement. De loin, le paysage est rigoureusement plat. Peu à peu au-dessus du vide absolu, se dévoile une forme tremblante qui miroite dans le soleil. Enfin une construction, comme une géante maquette plate, grandit au ras de l’horizon. Le travelling s’accélère, la ville se dévoile. On n’y croit pas.
Brasilia est la capitale d’un pays gigantesque. Mais ce n’est pas une ville, c’est un dessin de ville, une croix dans le désert. Un acte de prise de possession d’un territoire, parfaitement réalisé dans sa totalité, sur un site absolument vierge, conformément au projet de Lucio Costa et d’Oscar Niemeyer, sous l’impulsion du président Joscelino Kubitschek.
Je suis venu voir une ville ; j’y ai découvert un jardin infini. Un terrain vague. Un espace en suspens, qui s’étire au-delà de la dimension de l’homme.
J’ai marché des heures. Hors du plan et de ses limites. Dans une ville qui n’a pas été conçue pour le piéton.
J’ai croisé quelques hommes, tels mon reflet au loin. Ils marchaient, le plus souvent en direction de la Rodoviaria, la gare routière à l’intersection des deux ailes du Plano Piloto.
L’espace public de Brasilia, c’est son territoire tout entier. Les villes ont l’habitude de recouvrir d’asphalte le site naturel sur lequel elles sont bâties. Ici, la terre rouge ne disparaît jamais, malgré la planification sophistiquée.
Le temps y est suspendu. La vie semble s’être arrêtée en ce jour ensoleillé du 21 avril 1960 : le Brésil fête l’inauguration de sa nouvelle capitale construite ex-nihilo. Étonnantes scènes que ces défilés d’ouvriers, de militaires et de hauts fonctionnaires sur la terre colorée du plateau central du pays, entre des bâtiments officiels au design futuriste, à peine achevés, comme éparpillés sur une scène trop grande pour eux. Une utopie devenue réalité en mille jours.
Perpétuel retour en arrière, perpétuelle disponibilité pour les futurs.
Je suis passé à Brasilia avec le sentiment d’y revenir.
J’en suis parti en me demandant si Brasilia existait vraiment.
Elle me semble exister ; non comme un mythe ou un symbole de l’utopie moderniste, mais comme un terrain disponible pour toutes les improvisations, pour tous.
La vraie monumentalité de Brasilia, c’est son vide ; il y est irréductible.
CW