Comment s’approprier l’espace ?

Extrait de l’article Enquêtes, archives, concepts
Dominique Baqué, Artpress 421, avril 2015

A partir d’enquêtes précises menées sur les lieux, Cyrille Weiner pose de façon récurrente la question de l’appropriation de l’espace – notamment dans ses marges, ses lieux de transformations. Se demandant obstinément comment les individus peuvent prendre emprise sur leurs lieux de vie, à distance des directives venues “d’en haut”, l’artiste quitte peu à peu le registre documentaire pour proposer un univers traversé par la fictionnalité, qu’il met en scène par des expositions, des projets éditoriaux et des installations. Il pratique aussi la recollection d’images, les réutilise d’une série à l’autre pour en faire des editions d’artiste, comme Le Ban des utopies, sorte de carnet intime en moleskine, ou cette installation, proposée au Centre d’art et de photographie de Lectoure, qui évoquait un cabinet de lecture sis dans un pigeonnier, ou encore cette “mise en marche” d’anonymes, induisant une forme de nomadisme chère à l’artiste. Dans les espaces poreux et intermédiaires, comme en chantier – Avenue Jenny (2001) et la Fabrique du pré à Nanterre (2004-2012) ; Les longs murs à Marseille (commande publique cnap, Euroméditerrannée, Ville de Marseille, 2004) ; En dehors du plan à Brasilia (2008) ; Presque île , en résidence à la villa Noailles à Hyères (2009) etc., le regard change, et le rapport du corps à l’espace aussi.

S’inscrivant délibérément dans la communauté des architectes, urbanistes, paysagistes, et faisant équipe avec le designer Grégory Lacoua, il invente un objet photographique hybride, mixte de sculpture et de mobilier, appellant un usage inédit du regard et impliquant le corps et ses déplacements face à l’oeuvre. Ici, trois photographies transférées sur des plaques de verre et superposes font apparaître un paysage flottant, qui fait echo aux anciennes stereoscopies. Mêlant en strates successives nature, ville et rivage, rassemblant ainsi l’essentiel de son propos théorique et plastique, Cyrille Weiner crée sous nos yeux déchiffreurs une hétérotopie.

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